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Les tensions commerciales redessinent les échanges sur les marchés

Les hausses des droits de douane entre les États-Unis et quelques-uns de ses principaux partenaires commerciaux, l’UE, la Chine, le Mexique et le Canada, commencent à bouleverser les échanges mondiaux des matières premières agricoles, très concernées par les mesures de rétorsion.

Le cours du soja coté à Chicago a connu son plus bas niveau en neuf ans mi-juillet.
Le cours du soja coté à Chicago a connu son plus bas niveau en neuf ans mi-juillet.
© Bernard Aumailley

Lait, viandes, grains, et même certains fruits. La myriade de mesures de rétorsion annoncée par le Mexique, le Canada, la Chine ou encore l’Union européenne, après les hausses de droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium, concernent un large spectre des produits agricoles exportés par les États-Unis. Et les marchés mondiaux commencent déjà à en être affectés, notamment depuis l’imposition des premières mesures chinoises sur le soja. Le différend commercial entre Washington et Pékin « n’est pas sans conséquence sur des marchés agricoles interconnectés », a indiqué FranceAgriMer lors de son conseil mensuel céréalier le 11 juillet. Nombre de ces rétorsions devraient pénaliser l’industrie agricole américaine, et offrir des opportunités aux autres partenaires de l’UE, du Mexique, du Canada ou de la Chine, en premier lieu le Brésil. Mais « l’issue de ces tensions reste incertaine », nuance toutefois FranceAgriMer. « Ainsi, dans l’ensemble des secteurs, des accords bilatéraux pourraient tout aussi bien faire peser un risque pour les exportateurs français, si elles aboutissaient à une augmentation des importations de la Chine en provenance des États-Unis ».

Lait : une place à prendre en Chine pour le lactosérum français

Le principal flux d’exportations agroalimentaires françaises vers la Chine concerne les produits laitiers avec 810 milliards de dollars en 2017, rapporte FranceAgriMer. Les hausses de droits de douane contre les produits laitiers américains constituent donc « l’opportunité majeure » pour l’agroalimentaire français. Les États-Unis sont le premier exportateur de lactosérum en Chine (42 % des parts de marché), juste devant… la France, avec 17 % des parts de marché. Des marchés devraient s’ouvrir aux laiteries françaises. Toutefois, nuance FranceAgriMer, « cet effet pourrait être limité par la différence entre les produits », car les États-Unis exportent essentiellement du lactosérum brut, destiné à l’industrie agroalimentaire et l’alimentation animale, quand la France exporte du lactosérum haut de gamme, destiné à la fabrication de poudres de lait infantile. Des opportunités existeraient également, mais moindre pour le fromage américain.

Soja : la Chine pourrait se reporter massivement sur le Brésil

En grains, comment fera la Chine pour se passer du soja américain? Elle en importe chaque année 39 millions de tonnes (Mt) au Brésil, 7 Mt à l’Argentine et 29 Mt aux États-Unis. Autrement dit elle doit trouver 29 Mt d’approvisionnements alternatifs, a exposé Marc Zribi, chef de l’unité « grains et sucre » de FranceAgriMer. La Chine pourra accroître ses achats à l’Argentine, au Paraguay et à l’Inde, « mais ce sera insuffisant ».

Elle pourra aussi substituer du maïs au soja dans les formules d’aliments du bétail, mais dans une mesure limitée car le maïs est de l’énergie et le soja de la protéine, or il faut les deux dans les aliments composés. Une des solutions est que le Brésil exporte la majeure partie de son soja à la Chine et qu’ensuite il s’approvisionne aux États-Unis. Mais que resterait-il, pour le Brésil, à exporter vers l’Europe? Un effet domino n’est pas à exclure, mais il est imprévisible, a résumé Marc Zribi.

Les prix du soja ont baissé de 15 % aux États-Unis

Mi-juillet le cours du soja coté à Chicago a chuté à un plus bas niveau en neuf ans, affecté par l’escalade des tensions commerciales entre Pékin et Washington. Une baisse qui représente « environ 15 % depuis fin mai », observe-t-on chez Rabobank, tandis que les taxes douanières chinoises imposées le 6 juillet sont de 25 %. Cela signifie que les courtiers ont intégré une bonne partie de cette taxe aux prix. « La guerre commerciale a entraîné une baisse significative des prix du soja aux États-Unis, mais ils n’ont baissé que légèrement en Amérique du Sud », autre origine majeure sur le marché international, à savoir « moins de 10 % » en lien avec une forte demande de la Chine, poursuit l’analyste de Rabobank. Une situation dans laquelle « les farmers américains sont les plus désavantagés », alors que « pour les éleveurs de bétail de l’UE, les prix du tourteau de soja se sont affaiblis » depuis le déclenchement de cette guerre commerciale. À ceci près que les coûts des aliments du bétail sur le marché européen sont « toujours en hausse par rapport à l’année précédente », selon Rabobank: actuellement, la cotation du tourteau de soja Amérique du Sud autour de 380 $/t pour l’origine argentine est encore supérieure d’environ 50 $/t à la moyenne de 2017.

Soja : l’UE devrait privilégier le soja US

Profitant d’un soja US meilleur marché, les triturateurs européens en utilisent aujourd’hui de gros volumes. « L’UE triture habituellement beaucoup de graines de soja d’Amérique du Sud et d’Amérique du Nord, mais compte tenu de la réduction nette du prix américain par rapport au sud-américain, tous les triturateurs achètent l’origine US, note Rabobank. Cela devrait se poursuivre. Nous prévoyons que l’UE produira davantage de tourteau de soja (surtout à partir de l’origine États-Unis) à court et à moyen terme, mais réduira probablement quelque peu ses importations de tourteau de soja du Brésil et d’Argentine. De toute façon, l’UE devra toujours importer du tourteau vu ses capacités de trituration inférieures aux besoins. »

Si on mesure les effets à court terme de cette guerre commerciale entre Washington et Pékin, les conséquences à moyen terme semblent plus difficiles à aborder. Comment vont se développer les flux de graines de soja à partir de l’Amérique du Sud vers la Chine? « Si leur rythme est élevé, des tensions pourraient voir le jour en fin d’année sur le marché du tourteau, faute de disponibilités », anticipe Yvon Pennors, directeur général de Bunge. L’accès de faiblesse des cours du soja à Chicago, qui reste le marché de référence, va-t-il perdurer ? « En cas de guerre prolongée, sur six mois ou un an, les prix de Chicago ont de grande chance de rester bas », d’après lui. Les farmers américains pourraient alors réduire leurs surfaces cultivées en soja.

Maïs : l’UE devient de plus en plus dépendante de l’Ukraine

Autre produit dans le viseur, le maïs fait l’objet d’une riposte de Bruxelles contre Washington : l’UE applique depuis le 22 juin un droit de 25 % ad valorem sur les importations de maïs venant des États-Unis. Il s’agit d’une contre-offensive aux taxes de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium décidées par Donald Trump. Cette mesure a « fait sortir le maïs US du marché européen », constate Matthieu Çaldumbide, directeur adjoint de l’AGPM (producteurs de maïs). 1,7 Mt sont concernées, en reprenant les volumes de 2017-2018, soit 10 % des importations de l’UE, d’après ses chiffres. Problème, « les alternatives ne sont pas légion » : le marché mondial est dominé par quatre fournisseurs avec les États-Unis, le Brésil, l’Argentine, l’Ukraine, souligne-t-il. « Le marché européen est plus que jamais tributaire des importations de maïs ukrainien. »

Poulet : les industriels brésiliens mis en difficulté en UE

Déjà mis en grande difficulté par les scandales sanitaires du printemps 2017 (Opération Carne Fraca), dont un dernier rebondissement est apparu au printemps 2018, les industriels brésiliens du poulet, leaders du marché mondial, pourraient aussi pâtir de cette guerre commerciale, commente Pascale Magdeleine, économiste à l’Itavi. Le problème : le report de la demande chinoise en soja sur le Brésil pourrait engendrer un éventuel renchérissement des cours du soja au Brésil, comparativement à d’autres pays concurrents, d’où une hausse des coûts de production. Cela pourrait notamment accélérer le retrait des industriels de la volaille brésiliens du marché européen, déjà en cours depuis deux ans, où ils sont au coude à coude avec les concurrents thaïlandais ou ukrainiens. Les industriels états-uniens de la volaille seraient au contraire avantagés à court terme par des cours du soja en berne. Mais à moyen terme, la guerre commerciale pourrait leur être néfaste car certaines mesures de rétorsions chinoises envers les États-Unis concernent directement le poulet, notamment les pattes, très bien valorisées en Chine. Elles n’ont pas de conséquences pour l’heure, car les États-Unis, comme l’UE, sont exclus du marché chinois depuis les dernières crises d’influenza aviaire en 2017.

Porc : accès réduit à la Chine et au Mexique pour les États-Unis

L’industrie porcine étatsunienne est lourdement touchée par la guerre commerciale avec la Chine, mais aussi avec le Mexique. La Chine a imposé un droit de douane supplémentaire de 25 % sur certains produits porcins américains, notamment sur les abats, ce qui pourrait sortir les Américains du marché chinois, rapporte Rabobank. « Je m’attends à un effet important car les pays consommateurs d’abats sont peu nombreux », explique l’économiste néerlandais Robert Hoste de l’université de Wageningen. Les marchés de report sont donc plus difficiles à trouver que pour du soja par exemple. Par ailleurs, le porc américain est aussi concerné par des mesures de rétorsions mexicaines. La part de marché des États-Unis pourrait y passer de 90 % à 75 % au cours de la deuxième moitié de 2018, estime l’industrie américaine de la viande (USMef), au profit des Canadiens et des Européens.

Mais des opportunités limitées pour le porc français

Malgré les difficultés des Américains, l’effet sur les marchés européens n’est pas garanti, encore moins pour la France. « La France n’apparaît pas la mieux placée pour profiter d’une sanction des États-Unis : le prix français est environ 20 % plus élevé que la moyenne de ses concurrents», estime FranceAgriMer. Elle pourrait en profiter indirectement si l’Espagne et l’Allemagne, « en meilleure position » pour exporter vers la Chine, allègent ainsi le marché européen. Au Mexique, « les Européens ont commencé leurs envois mais cela ne devrait pas améliorer les prix européens parce que le marché mexicain est un petit marché consommateur, commente Robert Hoste, et que le marché mondial trouve toujours un équilibre : quand un flux est limité, un autre s’ouvre.

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